La Mer du Sud

Publié le par Anne-Catherine Deroux

Qui l'eût cru? En visant toujours le nord depuis la Mer du Nord, puis en bifurquant résolument plein Est via le canal vers Amsterdam, voilà que nous nous retrouvons en pleine Mer du Sud!! N'allez pas croire que nous ne savons pas suivre un cap. C'est simplement ainsi que les Frisons nomment cette mer intérieure composée des jumeaux Markermeer et Ijsselmeer. Non sans logique d'ailleurs, puisque la Mer du Nord, que les Hollandais du sud voient dans leur Ouest - à l'inverse des Anglais qui eux la situent à l'Est, sans parler des Écossais qui y rajoutent même quelques degrés de Sud - se poursuit effectivement bien au Nord de la Frise... et donc de cette Mer du Sud!
Je vous l'accorde... c'est à s'en dérégler la boussole!!
 
Deux perspectives alléchantes nous ont attirés ici : celle de navigations nonchalantes dans ces eaux douces que nous n'avions que trop brièvement effleurées il y a déjà trois ans, et celle d'un agréable moment à passer avec nos amis du voilier ZzPops. Pops et Nath nous ont fixé rendez-vous à la marina de Monnickendam, charmante petite ville nichée tout au fond du Gouwezee. Une bien délicieuse escale pour des retrouvailles avec le Markermeer, nous offrant en outre le plaisir de longer la presqu'île de Marken, ce joyau brut qui a donné son nom à la mer qui l'entoure.

Nos amis sont déjà là pour attraper nos amarres. Embrassades, rigolades, comparaison de nos techniques respectives pour l'amarrage sur ducs d'Albe (y a pas photo, ils s'en sortent mieux que nous), visite à terre, rafraîchissements et victuailles mis en commun dans l'un puis l'autre cockpit, nous savourons chaque minute. Le lendemain, cap vers Volendam la jolie, et c'est reparti pour un tour des mêmes réjouissances! Insouciance tropicale, au goût de hareng et de "huzaren salade".

La Mer du Sud

Pops et Nath ont repris la route du sud ce matin. Et nous, où allons-nous aller maintenant? Le Markermeer et l'Ijsselmeer foisonnent de magnifiques petites villes et l'on ne sait où donner de l'étrave. Impossible de tout voir, il faut faire des choix. Nous votons pour Hoorn.

Le bulletin météo prévoyait un vent de force 5 mais ils ont dû se tromper car c'est à peine si nous avançons avec ce faible souffle d'air qui nous arrive par l'arrière. Agacés, nous ramenons les voiles et allumons le moteur. Stupeur! Nous n'avançons pas plus vite! Et le moteur commence à vibrer anormalement. Il faut nous rendre à l'évidence : nous sommes bel et bien pris au piège de ces satanées algues qui ont envahi tout l'ouest du Markermeer, à la faveur d'un été trop beau et trop chaud. Albert enclenche vigoureusement la marche arrière puis la marche avant, afin de "hacher" la verdure, pour un résultat peu concluant. Heureusement, un gros nuage noir s'approche, et avec lui le vent qui se lève. On va pouvoir repartir à la voile. Mais le vent n'en finit plus de se lever. Toujours plus fort. Et très vite. Tout d'un coup le ciel devient noir, alors que la mer gonfle et blanchit sous les giffles des bourrasques. Une pluie diluvienne se met à tomber. Le vent s'engouffre plus férocement encore dans les voiles que nous venons à peine de hisser et le bateau manque de se coucher.
"Lâche tout! me crie Albert.
- Il faut affaler!" je lui crie en retour.
Rapidement décidé, rapidement effectué. Il y a de l'urgence dans l'air, mais aucune panique. Nous remettons en route avec le moteur et un bout de génois. Ça va bien au-delà d'un force 5 maintenant. La mer est grosse et une vague vient éclater dans le cockpit, nous laissant trempés. J'ai peur, bien sur, mais je ne suis pas tétanisée. Il n'est plus temps de me demander ce que je suis venue faire dans cette galère. Je serre les dents et, l'un comme l'autre, nous faisons ce qui doit être fait.
Mais impossible de remettre le cap sur Hoorn. Face aux vagues agressives qui nous refoulent, nous avançons péniblement à du 1,5 noeud. A cette allure, nous y sommes encore demain! Alors au diable Hoorn! Virons de bord vers Enkhuizen, il paraît que c'est très joli aussi.

Deux heures plus tard, la mer se calme. On retire les cirés, on passe l'écluse sous le soleil revenu, et on prend une place dans la marina, à deux pas du Musée de la Mer du Sud et du centre-ville d'Enkhuizen. Et effectivement, c'est très joli!

La Mer du Sud

D'Enkhuizen à Hindeloopen il n'y a pas une grande distance, 16 milles à tout casser. Mais la légère brise du jour nous vient exactement de face, nous refusant une route directe. Ça fait plus de 5 heures qu'on est partis et on en est déjà à notre cinquième bord de près. C'est gai... mais c'est lent! Albert envisage tout doucement de laisser tomber et de viser Lemmer, plus à l'Est.
J'insiste :
"Je suis sûre qu'avec encore deux bords ce sera bon pour Hindeloopen.
- Non, franchement, je ne crois pas...
- Oh allez, encore un bord ou deux... s'il te plaît!"
Albert ne comprend pas mon insistance. Il ne sait pas que depuis quelques minutes, je nourris une petite idée. Ce bord, je veux le prendre toute seule!
Quand je lui explique, Albert semble aussi sceptique qu'amusé, mais il accepte. Tout excitée, je prépare ma manoeuvre : grand-voile ramenée au centre, écoute bâbord à portée de main. Je suis prête. Alors je m'écrie bien fort :
"Parée à virer, moi-même?
- Parée, moi-même!
- VIREEEEER!!"
Et tout en riant d'aise, je pousse la barre, lâche l'écoute tribord et me mets à tirer au plus vite sur sa soeur de gauche. J'abats un peu trop mais ça ne me gêne pas, je rectifierai mon cap après. Et voilà! Sans doute pas le plus esthétique des virements de bord, mais c'était mon premier à moi toute seule, et je l'ai réussi. Fière je suis! De plus, je ne m'étais pas trompée : le bord suivant nous amène tout gentiment dans les bras d'Hindeloopen, juste à l'heure de l'apéro. Elle est pas belle la vie?

La Mer du Sud

Publié dans Eté 2018

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article